jeudi 4 février 2010

Les Témoins sibériens loin du tribunal


La Bouriatie est une véritable terre de mission pour les Témoins de Jéhovah : il y a peu, la république comptait encore 10 fois moins de communautés que son voisin, l’oblast d’Irkoutsk. L’avenir paraissait radieux… Mais en Russie aussi, les Témoins de Jéhovah font peur. Arrivés en masse au début des années 1990 et bien qu’officiellement enregistrés comme organisation religieuse, leurs jours sont peut-être comptés.

Serait-ce le jugement dernier ? En décembre, la Cour suprême a confirmé la décision d’un tribunal de Rostov qui a décidé de dissoudre une filiale locale de l’organisation. Et elle a dans la foulée qualifié d’ « extrémistes » plusieurs publications que les Témoins distribuent dans l’ensemble de la Russie. Ce n’est certainement pas la « bonne nouvelle » attendue par les fidèles.

Pour mieux comprendre ce que représente leur organisation en Russie, nous avons décidé de partir à la rencontre des Témoins de Jéhovah d’Oulan-Oude. Mais ce sont eux qui, les premiers, sont venus frapper à ma porte.


Un jeune homme et une jeune femme, sérieux mais souriants, la mise impeccable. Lui est asiatique, elle est européenne. Classique pour la Bouriatie. Sauf qu’il n’est pas Bouriate, mais Japonais, venu prêcher en russe et en chinois. Une langue qu’elle aussi maîtrise parfaitement, sans jamais avoir mis les pieds dans l’Empire du milieu. Ils sont spécialisés dans le « recrutement » des étudiants chinois, nombreux dans les universités de la région.

Me sachant étranger, le missionnaire japonais commence par m’interroger sur mes capacités à parler le russe. Pour cela il me demande si je comprends les questions de sa brochure sur le message véritable de la Bible. Rusé, il me prie alors de lui indiquer quelle question m’intéresse le plus. Je réponds : «La cinquième : que se passe-t-il quand l’homme meurt ?». Ca y est, la conversation sur la religion est engagée, citations de la Bible à l’appui. Mais elle restera entièrement guidée par lui.

Ayant eu vent de mon souhait d’assister à un office, ils m’invitent chaleureusement à m’y rendre le surlendemain.

Dans la Salle du Royaume

Froid et morne de l’extérieur, le bâtiment est presque étouffant de chaleur humaine à l’intérieur. A peine arrivé, le nouveau venu se trouve entouré de toutes parts, assailli de sourires et de mots de bienvenue. Un peu trop « américain » pour la Sibérie. Le bâtiment lui-même, par son côté standardisé et aseptisé, ressemble à une sorte de McDonald’s sans l’odeur de friture. Seule adaptation au marché local : l’inscription en bouriate « Yakhovyn Gershenuudei khaan turyn zal ».

Une sonnerie d’aéroport vient signaler le début de la réunion. Tout ici rappelle une salle de classe : chaque élève a apporté, en plus de sa Bible, ses manuels et les polycopiés du cours, qu’il a dû préparer à l’avance à la maison. L’un des élèves est désigné pour lire la leçon. De nombreuses mains se lèvent pour répondre aux questions du prédicateur, le plus souvent en répétant ce qui est écrit dans le paragraphe sur lequel porte la question.

Le prédicateur rappelle qu’il faut aider les nouveaux venus, qui se retrouvent ici comme des enfants. Mais les enfants des Témoins, eux, sont déjà capables de citer la Bible un micro à la main.

En mauvais élève, j’ai le temps de feuilleter le manuel que l’on vient de me prêter, sur la vie dans l’amour divin. Quelques passages en annexe retiennent mon attention : on trouve des conseils pratiques sur « Comment se comporter avec les excommuniés ? », « Comment arrêter la masturbation ?» ainsi que sur l’épineuse question du refus de la transfusion sanguine. Sur ce dernier point, pour lequel les Témoins de Jéhovah sont le plus souvent critiqués, et parfois condamnés, ne figure évidemment aucune interdiction en tant que telle. Seulement une liste de questions qui doivent aider le chrétien à prendre sa décision au regard de ce que lui dicte sa conscience, éclairée par la Bible.


Prosélytisme : conseils pratiques

Nouveau manuel, nouveau thème, nouveau professeur. Nous ouvrons le livre L’Ecole du ministère théocratique à la leçon sur les gestes comme accompagnement de la parole. Sont passés en revue sourires, mimiques et mouvements du corps qui favorisent le contact avec les personnes à convertir. Le prédicateur, orateur accompli, n’hésite pas à jouer avec les clichés : « Si l’on va voir les gens sans sourire et en leur disant que la fin du monde est proche, on va effrayer tout le monde ! »

Ces différentes méthodes, qui pourraient sembler dignes d’organisations subversives, sont en fait abordées ouvertement, même avec les nouveaux venus. C’est l’un des éléments qui fait dire à Nathalie LUCA et Frédéric LENOIR dans leur livre Sectes, mensonges et idéaux, que les Témoins de Jéhovah n’ont rien à voir avec les « nouvelles sectes » qui défraient régulièrement la chronique[1].

Au moment de rentrer chez soi, une vieille dame passablement exaltée tente sur moi l’une des techniques destinées à fidéliser les nouveaux venus. Elle me promet de m’inviter chez elle pour boire le thé, mais à une condition : que je sois présent aux prochaines réunions ! C’est donc à mes risques et périls que je décide de venir assister à la leçon dominicale…

Tu obéiras à l’Organisation

Le dimanche matin chez les Témoins est encore plus studieux que le jeudi soir. Et aucune excuse pour ne pas participer à la leçon. Quand bien même serait-on sourd et muet, une jeune et jolie interprète se charge de traduire les paroles du prédicateur en langue des signes.

Au bout d’une heure de lecture-mémorisation d’un fastidieux texte issu du journal « La Tour de Garde »[2], l’orateur cède la parole à un invité venu d’une autre paroisse. Trente minutes de discours. Et pas des plus tolérants. Son idée est que ceux qui trahissent l’Organisation sont des suppôts de Satan. Noé, le Christ, avaient déjà de leur temps formé autour d’eux cette Organisation. Elle est comme un corps avec ses mains, ses jambes, ses organes… et sa tête. Tous ses membres sont différents, mais doivent être heureux de remplir les fonctions qui leur sont assignées par le cerveau, puisque c’est là la volonté de Jéhovah. Amen.


Alban des Grottes

Svetlana Akhmadoulina



[1] Nathalie LUCA, ethnologue et chercheur au CNRS, et Frédéric LENOIR, philosophe et sociologue, Sectes, mensonges et idéaux, Bayard, 1998 : « Ils affichent clairement leurs objectifs réels, l'argent sert à construire des lieux de culte et non à enrichir quelques nababs, le pouvoir est collégial et n'est pas entre les mains d'un gourou tout-puissant, etc. »

[1] Publié simultanément dans plus de 150 langues, ce magazine, tiré chaque mois à des millions d’exemplaires, est un recueil des textes qui doivent être étudiés lors des réunions. Il distille de très nombreux conseils pratiques sur l’organisation de sa vie quotidienne, mais en se référant toujours au texte de la Bible.

1 commentaire:

  1. Fort intéressé par votre article et celui de 2010, je souhaite entrer ebn contact avec A. des Grottes
    Philippe Guichardaz 06 3121 67 63

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